GIRL INTERRUPTED

□ L'animal qui te représente : la guêpe, bestiole récalcitrante à l'attaque facile. □ Proie ou prédateur : une fâcheuse tendance à vouloir prendre le contrôle. □ Tes désirs : parfois fous et sans aucun sens, des désirs à la réussite aléatoire mais qui font frémir l'âme. □ Tics et manies : boire son café dans un verre à vin, imaginer la vie des cadavres qu'elle récupère, enchaîner la nicotine par habitude, fantasmer sur la mort de son double qu'elle anéantirait de ses mains, proposer son aide à la vieille voisine, porter des lunettes de soleil lorsque le ciel est gris, persister à griller les feux en bicyclette, cacher sa séropositivité au monde entier, errer dans les rues sans objectif, mener sa vie l'air de rien.

Monsieur déglingue sa secrétaire, Madame frôle le septième ciel grâce au professeur de piano. « Fous l'un de l'autre » répètent pourtant Roque et Carla entre deux goulus baisers sous les clinquants sourires des invités bêtement attroupés. Ils n'ont rien à célébrer mais il n'y a pas besoin de raison pour faire dégueuler sa fortune. Le couple est dans l'excès, comme à son habitude. La femme se pavane auprès de ses copines, expose fièrement la parure offerte par son époux. Véritable Reine, elle déchante lorsque des petites mains s'accrochent au bas de sa robe.

- Barbra. Sa voix nasillarde fait quelques fausses notes. Que fait-t-elle ici ?

La nourrice, petite femme un peu costaud, s'avance confuse.

-Son frère est présent également, je pensais alors que Mademoiselle Frida pouvait faire de même.
- Dario sait, contrairement à sa sœur, se tenir. Vous pouvez donc vous abstenir de penser étant donné que vous n'êtes, de toute façon, pas payée pour ça.

Barbra hoche péniblement la tête, prête à embarquer la gamine qui hurle à plein poumon. Un cri excessivement théâtral qui serre la mâchoire de sa mère et le poing de son père. La jalousie lui ronge l'os, toutes ses tentatives sont vaines. Elle s'essouffle dans sa course, frustrée que l'attention de ses parents soit portée sur son jumeau, le fils prodige. Dario est la réussite et l'excellence, l'enfant à l'avenir tout tracé depuis qu'il est dans les bourses de son père. Il est présenté tel un trophée, trimbalé fièrement par ses parents d'un coin à l'autre. La gamine bouillonne, cogne les murs. Fillette adorable injustement délaissée, sa nourrice veille alors sur elle. Barbra est aimante mais Frida veut ses parents.


Ses yeux peinent à s'ouvrir, un gémissement d'inconfort qui s'échappe de ses lèvres. Quelques secondes suffisent pour qu'elle reconnaisse les lieux. Cinquième hospitalisation. Cinquième fois qu'elle essaie de réduire sa famille.

- Vous pouvez me gratter le bout du nez s'il vous plaît ?

Les poignées sont liés, les chevilles aussi. L'hispanique est placide, d'un flegme déconcertant. Elle se demande si son ancienne voisine de chambre est toujours là et si les repas sont toujours aussi infâmes.

- Frida Vaz, déjà de retour. Je n'ai pas à vous présenter la structure, comme vous le savez vous allez devoir attendre le psychiatre pour qu'on puisse vous détacher ou non.
- Si Señor.
- Avez-vous un traitement en rapport avec votre séropositivité afin que nous puissions vous le fournir durant votre séjour ?

Rien ne percute, rien ne peut la concerner. La question passe au dessus, elle reste muette, ailleurs.

- Mademoiselle ?
- Mais quoi encore ?
- Vous devez bien être au courant que vous êtes une personne malade. Nous faisons désormais des analyses sanguines à chaque admission. Vous êtes séropositive Mademoiselle.


Maman a ouvert ses bras au retour de sa fille. Son cœur s'est emballé, les larmes sont montées. Elle a couru, sauté contre le corps de cette mère qu'elle n'a jamais vraiment eu. La main manucurée de la Reine s'est faufilée dans la belle chevelure de Frida. Ses lèvres rouges à son oreille, le sourire se dessine.

- Crois-tu que nous voulons d'une petite salope séropositive à la maison ? Crois-tu que nous voulons d'une petite malade mentale auprès de nous ? Tu vas être majeure dans moins de deux semaines, je vais te dégager en te traînant en sol. Remercie le Seigneur de m'avoir empêché d'avorté.

Carla recule d'un pas, ajoute de l'ordre à ses cheveux. La salive peine à s'avaler, Frida tremblote.


Alors elle a foutu le camp, quitté cet enfer. Elle n'a emporté que ses papiers, un album photo et l'argent qu'elle a volé à ses parents. Une somme importante. Avant de partir elle a fait dansé les flammes une dernière fois. « Aucun décès. Carla Vaz, célèbre dans la région est cependant en soin intensif. Son corps est brûlé à 70% » indiqua la presse espagnole. Un peu déçue, Frida s'est dit que c'était une brève réussite bien qu'elle garde la coupure du journal.

Elle a foulé la terre portugaise puis fantasmée sur le rêve américain. L'autre continent semblait lui faire les yeux doux, le bon endroit pour tout recommencer. Un billet sur un coup de tête mais elle n'avait de toute façon personne à dire au revoir.

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