Une journée lambda chez les pompiers | Jamie W.

Au vu de mon comportement parfois limite de ses derniers jours, le capitaine avait demandé à me voir, je venais de passer un sale quart d'heure comme on dit. Il venait de me sermonner un bon coup et je n'étais que d'accord avec ses arguments, j'étais conscient d'abuser et je devais me ressaisir avant qu'il ne soit trop tard, sinon je risquais d'aller au devant de gros ennuis tant professionnel que personnel.

Après avoir passé un temps dans le bureau du capitaine, j'étais retourner vers les autres, mes collègues avaient pour la plupart remarqué mon changement de comportement depuis une certaine intervention qui avait coûté la vie à un enfant. Ce jours là m'avais particulièrement marqué, j'appréciais beaucoup les gamins et le courant passait assez bien. Du coup j'étais devenu un peu désinvolte. Je le savais, mais je n'arrivais pas à trouver de solutions pour m'en sortir. Je briquais le camion de secours routier, faisant les casiers, je vidais chaque compartiments en repensant aux parole du chef. J'étais très silencieux.

Une journée calme, pour une fois. Ranger le matériel, faire la cuisine le midi, partager quelques anecdotes sur leur vu. Et puis, il avait vu Eden disparaître dans le bureau de leur capitaine. Il avait fait une grimace, être convoqué ne voulait rien dire de bon. Ils s’entendaient tous bien dans leur caserne, une équipe unie, soudée, qui s’écoutait, de temps en temps. Les caractères trop rebelles étaient rapidement écrasés, pour ne pas mettre en danger le reste de l’équipe. Jamie n’avait rien dit lorsqu’il avait vu son collègue revenir parmi eux. Le blond n’était pas du genre à regarder sans rien faire, surtout au vu du comportement du jeune homme en ce moment. Il le rejoignit, le regardant pendant quelques minutes faire les casiers, avant de faire un pas en avant, imposant. Tu veux en parler Eden ? Il souffle, en s’appuyant contre le mur le plus proche. Il savait, pour l’intervention avec le gamin, il savait. Lui aussi ça l’avait marqué, surtout que le petit qui était décédé avait le même âge que Maddison, sa belle fille. Mais Jamie avait appris à refouler tout ça, au fond de lui. Il arrivait à prendre du recul sur les évènements, à compartimenter. Ça n’avait pas toujours été comme ça. Il avait été à fleur de peau, à hurler contre l’injustice. Maintenant, il arrivait à souffler.

Tout le monde m'avais vu sortir du bureau, personnes ne me posais la moindre questions ce que j'appréciais, je ne connaissais pas la raison de se manque d'interrogations. Quelques minutes plus tard, Jamie arrivait vers moi, je le voyais planté là, à me regarder sans rien dire. En six ans, on se connaissait très bien, j'avais beau être sérieux au travail, quand je l'étais trop, ce n'était jamais un bon présage. Je n'étais guère étonné qu'il ne me questionne, je soupirais, après tout il fallait bien que je m'ouvre un peu. Je savais qu'il était plus sensible que moi et pourtant il savait nettement mieux gérer que moi ses émotions. Autant en profiter pour se livrer un peu surtout que j'avais confiance en lui. " Ouais, ça pourrait sans doute me faire du bien. "

Je range le casier que j'étais en train de nettoyer avant de lui faire un signe de la tête. Je n'étais pas du genre à confier mes soucis, mes problèmes, je n'avais pas envie que tout le monde soient au courant. Tout les gars n'avaient pas forcément besoin d'entendre notre conversation. " Le chef vient de me reprendre par rapport à mon attitude de ses derniers temps. Depuis que le jeune est mort, d'habitude j'arrive à vivre avec les pertes du métier, mais là ... c'est différent. " Je m'appuyais contre le mur, le regard remplis de regrets, de déception, de tristesse. Je restais, peut-être à tord, convaincu qu'on aurait pu le sauver.

Parler pouvait faire du bien. Même en n’étant pas spécialement bavard, raconter son vécu, poser des mots sur des sensations pouvait être libérateur. Jamie avait même vu quelqu’un, après son accident. Il avait beau faire le malin, montrer son bras en écharpe et parler librement de la cicatrice sur son épaule, il avait bien failli mourir ce jour là. On ne l’avait pas laissé repartir tout de suite dans ce genre d’intervention, et en parler avait été un pas de plus vers la guérison. Alors même si ce cas la était différent, il était certain que si Eden acceptait de lui en parler, ça le soulagerait un peu. Ils n’étaient pas non plus des inconnus et ils partageaient le même métier, alors Jamie pouvait comprendre. Il avait cette sensibilité, cette empathie qui lui permettait de se mettre à la place des gens. Et ces qualités pouvaient parfois se transformer en défaut. Il hoche la tête doucement, fier de cette petite victoire. Il le laisse ranger le casier avant de le suivre, à l’abri des oreilles indiscrètes. Les rumeurs pouvaient circuler vite dans une caserne. Pourquoi ? Il demande doucement. La question pouvait être stupide mais là, ils n’avaient fait qu’effleurer le sujet. En quoi c’était différent des autres fois ? Jamie avait été aussi là. Il savait qu’ils avaient tout leur possible, mais les miracles n’existaient pas toujours, il en était aussi bien conscient.

On s'était donc éloignés des collègues afin de pouvoir parler tranquillement et sans oreilles non désirées, je savais que la discussion n'allait pas être des plus agréables qu'on aurait, mais c'était sans doute nécessaire. Et j'ai confiance en Jamie, je le connais depuis assez longtemps pour ne pas craindre de son jugement. Je soupire longuement avant de lui répondre. " C'est différent parce que je sais pas ... j'arrête pas de me dire qu'on aurait pu le sauver. Ca me touche toujours qu'on perde un enfant, mais là je sais pas. J'ai du mal à gérer, faire avec cette perte comme je fais d'habitude. " Lui expliquais-je en faisant les cent pas et en gesticulant un peu. " Je sais, je me rends parfaitement compte que depuis je déconne, que je suis un parfait connard des fois. J'essaie sincèrement de prendre sur moi, mais c'est compliqué. " Je passais une main sur mon visage, j'étais parfaitement conscient de la situation et je voulais que ça change, ce n'était agréable ni pour moi, ni pour les autres, ça ne pouvait pas durer encore longtemps, j'étais d'accord avec le chef.