coquillages et crustacés (cordelia)

C’était joli les vagues, des litres de mer qui s’échouaient chaque jour sur la plage, qui berçaient vos siestes sous un Newburry ensoleillé. Elles venaient puis repartaient, continuaient leur ballet contre vents et marées, parfois agressives, parfois tranquilles mais jamais dociles. Les sandales d’une main, son appareil de l’autre, Elia avançait à tâtons, un doigt sur le point d’allumer l’objectif, sur le point de capter ce paysage idyllique. Le monde autour de lui avait déserté, il ne restait plus que lui, plus qu’elle et une lune qui attendait de pouvoir pointer le bout de son nez. S’il y avait bien une chose qu’il aimait ici Elia c’était la plage, le seul endroit où l’affairement du monde n’arrivait pas à bouleverser sa quiétude, parvenait peut-être à le fasciner, à en sortir quelques idées, quelques trucs à placer en vrac sur ses cahiers. Aujourd’hui c’était pour tout autre chose qu’il apposait ses pieds sur le sable, un syndrome enfoui, oublié, une passion qui l'animait depuis tout petit mais que le poids des mots avaient tenté de flétrir. Il entendait ses pas derrière lui, il aurait peut-être dû la faire moins marcher après tout ce shooting improvisé c’était son idée. Elia c’était pas un photographe de mode, juste un amateur qui aimait immortaliser tout ce qu’il voyait. Cordelia et son énergie, Cordelia et ses sourires, Cordelia et son petit ventre qui s’arrondissait, un tableau d’une vie qui ne cesse de s’étendre, s’ouvrir. « Voilà, là on est bien. » Il avait pensé à plusieurs scénarios possibles, une balade dans le vieux quartier de la ville, une séance photo bucolique histoire de coller à la peau du personnage qu’il comptait capturer. C’était la plage qui avait retenue son attention, une infinité de grains sablées et une mer qui n’attendait rien si ce n’est vous engloutir, vous entraîner dans son immortalité. Bien que l’heure du coucher était passé, la lumière était encore bonne, de quoi sortir un peu de poésie, de jolis souvenirs. Au fond, Elia lui devait peut-être bien ça après tant de fleurs et de gentils mots. Rendre éternel, à jamais retranscrit sur une bande colorée l’image d’un don de soi, d’une bonté d’âme admirable. L’histoire l’avait secoué, quelque peu émerveillé voir fasciné, c'était sans doute ça qui expliquait ce coup de tête, cette demande incongrue : « Est-ce que je peux te prendre en photo ? » « Stresse pas trop, sois naturelle, rien n’est pro ici. » Son sourire se voulait rassurant alors qu’il allumait enfin l’objet de tous ses désirs, ça faisait si longtemps. Quelques regards dispersés ici et là, Elia essayait de bâtir son monde, trouver l’orientation que prendrait la soirée, qu'est-ce qui ferait ressortir tout le potentiel artistique qui l'habitait. Peut-être quelques photos près de l’eau puis dans cette même eau pour finir sur le haut des rochers ? Quelque chose de simple, quelque chose de beau un truc qui lui ressemblait.

Cette sortie c’était clairement un coup de folie, une petite envie qu’il s’était empressé d’assouvir. Lui-même ne savait pas trop où il mettait les pieds, il faisait très rarement des portraits maîtrisés. La plupart du temps il photographiait ce qui lui passait sous la main que ce soit un train ou l’un de ses voisins, quelque chose de brut, incontrôlé. Elia il se contentait de griffonner, rien n'était jamais très bien ficelé, ça devrait être pour ça que ses manuscrits ont été pendant longtemps maintes et maintes fois refusés, aujourd'hui son style légèrement au pied levé avait forgé son succès. Il lui arrivait d'espérer que ces maisons d'éditions s'en mordaient les doigts en voyant la ribambelle d'articles sortis l'année où son destin avait été totalement chamboulé. « Je pense bien que c’est une première pour nous deux mais bon la lumière est bonne le rendu devrait être pas trop mal. » Le brun tentait de bidouiller quelques uns des réglages de son appareil, ses doigts naviguaient entre les paramètres rajoutant toujours plus de modes, toujours plus d’effets, de quoi offrir de beaux souvenirs à afficher. « Oui fais-le, ça va être super joli. » Faut dire que le cadre était plutôt pas mal et le mannequin aussi. Premier essai. L’objectif braqué, il lui demanda de poser ce qu’elle fit légèrement déstabilisée, il le sentit dans les premiers moments. Il ne lui dit pourtant rien se contentant de se déplacer autour d’elle, préférant que l’inspiration vienne d’elle-même. Le jeune homme voulait établir un portrait proche de la réalité, faire ressortir ses traits, que l’image puisse raconter dans quelques années un souvenir passé. « Parle-moi un peu de ta semaine, de toi. » Il était clairement question de la mettre à l’aise, lui créer un espace de confiance dans lequel elle pourrait pleinement se lâcher. Faut dire que leur amitié était récente et qu’il n’avait pas toujours été des plus tendres, ce serait sans doute lui aussi un bon moyen d’en apprendre plus sur la blonde, sortir un peu de l’ombre. Au fond il ne savait que ce qu’il avait bien voulu comprendre sans jamais réellement chercher à creuser, c’était peut-être l’air marin qui agissait sur son cerveau, petit sentiment de bien-être qui lui donnait envie de faire la conversation. Peut-être bien qu'il était curieux aussi, ses talents d'observateur ne lui avait pas encore tout dit. En attendant, il lui vola encore une petite photo.